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Le prix du Jeu de Rôle : combien, pourquoi, comment ?

Dernière mise à jour : 20 août 2021

Cet article est le premier d’une série qui va revenir sur le marché du JdR et son fonctionnement, d'une part parce que ça peut être utile à qui aimerait se lancer dans l'édition, mais aussi d'autre part afin d’expliquer et de debunker les fantasmes, approximations et fausses informations qui peuvent circuler sur le net, et désormais dans certains magazines.




Avant toute chose, je vais préciser ici quelques termes que j’utilise par la suite et ce que j’entends par là. Il y a souvent des problèmes de définition dans ce genre de débats, et je préfère couper court autant que possible à toute incompréhension ou mésinterprétation.

Donc, quand je mentionne le PRIX d’un (livre de) JdR, je parle ici du montant payé par le client final visé, à savoir le joueur ou la joueuse, il s’agit du prix public, celui que vous retrouvez le plus souvent à côté d’un code à barres sur la couverture du livre.

Quand je fais référence au(x) COÛT(S) d’un ouvrage, il s’agit des sommes engagées par l’ÉDITEUR (qu’il s’agisse d’une maison d’édition ou d’un.e auteur.ice indépendant.e, je parle ici de la personne morale à l’origine de la publication).

Note : dans les exemples qui suivent, je vous fais grâce des montant liés à la TVA et autres petits détails qui ne feraient qu’alourdir les calculs sans changer le propos ou le résultat de la démonstration. De fait, les montants et divers coûts n'ont pas vocation à être exactement représentatifs, il s'agit seulement d'exemples qui permettent d'être plus lisibles et parlants qu'avec des équations ou des suites de lettres.

La rareté fait le prix des choses, ou presque

Pour commencer et comprendre le coût d’un ouvrage, il faut revenir sur la notion d’économie d’échelle. Cette expression est utilisée en économie pour désigner la diminution du coût moyen de production qui résulte de l’accroissement des quantités produites (définition tirée du Dico du commerce international). En gros plus vous produisez, moins ça vous coûte cher à produire.

Cela s’explique par le fait qu’il y a des coûts fixes d’une part, qui correspondent grosso modo au fait de lancer les machines, et des coûts variables qui correspondent à la matière première nécessaire à chaque unité produite).

Exemple : Disons que sur un projet j’ai un devis correspondant à 2000 € de frais fixes et 1,50 € de frais variables, mon coût de revient ne va pas être le même selon que je souhaite faire 500 exemplaires ou 2000.

Pour 500 ex.
Production : 2000 + 500 x 1,50 = 2750 €
Coût de revient par exemplaire : 2750 ÷ 500 = 5,50 €
Pour 2000 ex.
Production : 2000 + 2000 x 1,50 = 5000 €
Coût de revient par exemplaire : 5000 ÷ 2000 = 2,50 €

Au final, en multipliant par 4 le tirage, on ne double qu’à peine le coût de l’impression. On note donc qu’à forme égale, le coût de l’objet dépend fortement du nombre que vous produisez. Et la même logique peut s’appliquer à l’aspect créatif et à la rémunération de l’équipe créative : on peut avoir des rémunérations forfaitaires (fixe) ou au pourcentage (indexée en fonction des ventes). On va y revenir mais à partir de ce moment, l’éditeur a normalement assez de données pour calculer à peu près son prix de vente via un coefficient, généralement entre 6 et 10 selon ses objectifs, l’état du marché, etc.


C’est là que les choses commencent à se compliquer. Parce que là commencent à entrer en compte le prix du marché et la politique d'alignement des prix. Les clients finaux eux se fichent du prix que ça vous coûte tant qu’ils n’ont pas l’impression que votre livre de base est 3 fois plus cher que celui du voisin d’en face. À production et pagination similaires, si les étagères des boutiques sont remplies de bouquins à 40€, arrivez avec le vôtre à 65€ et vous risquez de voir fleurir quelques centaines de commentaires pas bien agréables sur les forums et les discussions Facebook…

Reprenons l’exemple précédent en partant du principe que le prix public sera de 40€ quel que soit le coût de revient et que la rémunération créative est la suivante : un forfait pour les illustrations de 800 € et un pourcentage de 10 % pour les textes, soit 40 x 10 % = 4 € par exemplaire. Le coût de revient incluant la création est donc le suivant :

Pour 500 ex.
800 ÷ 500 + 5,50 + 4 = 11.10 €
Ce qui représente 27,75 % du prix public.
Pour 2000 ex.
800 ÷ 2000 + 2,50 + 4 = 6,90 €
Ce qui représente 17,25 % du prix public.

On est donc sur une différence de marge de plus de 10 % sur les ventes et les profits potentiels. Allons maintenant jusqu’au bout de la démonstration pour voir les seuils de rentabilité et les profits possibles. Les boutiques prennent généralement 40 % du prix du livre et le distributeur 15 % (dans notre exemple donc, respectivement 16 € et 6 €). On va laisser de côté le diffuseur éventuel et toutes les dépenses diverses que l’on peut allouer pour simplifier la démonstration, mais le principe reste similaire, la marge de l’éditeur baisse.

Toujours avec l’exemple précédent, la marge possible :

Pour 500 ex.
Production et commercialisation : 40 + 15 + 27,75 = 82,75 %
Marge possible pour l’éditeur : 17,25 %, soit 6,90 € par exemplaire
Profit maximal envisageable : 500 x 6,90 = 3450 €
Pour 2000 ex.
Production et commercialisation : 40 + 15 + 17,25 = 72,25 %
Marge possible pour l’éditeur : 27,75 %, soit 11,1 € par exemplaire
Profit maximal envisageable : 2000 x 11,1 = 22200 €

En ce qui concerne le seuil de rentabilité le calcul va se faire un peu différemment puisque l’on ne se base plus sur l’unité livre, mais que l’on revient à ce qui a été dépensé au départ et ce qui est engrangé au fur et à mesure.

En effet, que vous vendiez 5 ou 200 exemplaires, les sommes pour l’impression et la rémunération au forfait ont été dépensées. Le reste dépend des ventes.

Mais donc, au départ vous partez avec une marge brute négative qu’il va vous falloir combler avec les ventes avant d’ensuite pouvoir gagner de l’argent. Le seuil de rentabilité constitue le point où les ventes ne font plus que rembourser les coûts avancés, mais commencent à générer du profit. Sur chaque vente l’éditeur engrange donc le prix du livre, duquel on soustrait la marge boutique, distributeur et la rémunération au pourcentage.

Il nous suffit pour calculer le seuil de rentabilité de diviser les dépenses initiales par le montant engrangé à chaque vente, soit 40 x 35 % = 14 €

Pour 500 ex.
Dépenses : 2750 + 800 = 3550 €
Seuil de rentabilité : 3550 ÷ 14 = 253,57
Ce n’est donc qu’à la 254e vente que l’éditeur sera rentré dans ses frais, ce qui représente plus de 50 % de son tirage.

Pour 2000 ex.
Dépenses : 5000 + 800 = 5800 €
Seuil de rentabilité : 5800 ÷ 14 = 414,29
Ce n’est donc qu’à la 415e vente que l’éditeur sera rentré dans ses frais, ce qui représente un peu plus de 20 % de son tirage.

Ce que l’on peut voir à ce stade se résume à la prise risque par rapport au tirage. Un petit tirage représente une prise de risque moindre, mais même avec la vente de tous les exemplaires chaque projet rencontrera peu ou prou les mêmes difficultés. Un grand tirage représente un plus grand risque, et sera plus difficile à écouler et à rentabiliser, mais il restera alors une grande marge de progression en termes de profit, qui pourront grandement faciliter le lancement de nouveaux projets. En reprenant les derniers calculs on s'aperçoit qu'en ne faisant qu'à peine doubler les frais d'impressions, on multiplie par plus de 6 le profit potentiel. Et l’on se rend compte bien plus facilement de l’intérêt que peut représenter le financement participatif dans un tel modèle économique, ne serait-ce que pour évaluer la part de risque que l’on s’accorde en tant qu’éditeur ou pour augmenter un peu le budget d'impression.



Jemrys

 

À propos de l’impression à la demande

On parle surtout ici d’une production que l’on qualifiera de traditionnelle, l’impression à la demande étant un peu particulière en ce sens qu’elle permet d’éviter les coûts fixes liés à l’impression en les transformant en coûts variables pour l’éditeur. Cependant, elle est généralement très standardisée et ne permet pas d’obtenir la même qualité d’objet d’une part, et quand bien même le coût est variable, il est très élevé (eh oui, l’économie d’échelle fonctionne aussi pour l’impression à la demande). Cela étant, dans la mesure où l’éditeur se passe de l’aspect distribution et boutique, il récupère une marge qui peut apparaître comme intéressante. Le reste se joue sur les objectifs de représentation et la manière de toucher un public indirectement. Mais ceci est une autre histoire.


À propos du financement participatif

Certains pourraient arguer qu’avec le financement participatif, l’éditeur récupère la marge boutique et distribution et gagne ainsi plus d’argent. Sur le principe il récupère bien ces marges, mais c’est pour les allouer à d’autres dépenses : les frais de port (quoi que de moins en moins et selon les pratiques), les frais de plateforme et la publicité, sans compter l’animation de la campagne et les visuels et textes dédiés. En bref, vous pouvez largement considérer qu’un éditeur ne se fait pas beaucoup plus de marge sur une prévente en financement participatif que via le circuit traditionnel, par contre, il a plus de chances d’atteindre, et plus rapidement, son seuil de rentabilité ainsi que faire parler du projet.


À propos de la politique d'alignement des prix

Il est bien sûr toujours possible de pratiquer ou de tenter une politique de prix différente de celle du marché et de la concurrence, mais on ne va pas se le cacher, c’est bien plus facile pour les structures les moins modestes et les licences les plus porteuses. Il sera plus aisé d’augmenter les tarifs sur une gamme avec une base de clients fidèles que si vous sortez un tout nouveau jeu qui doit faire ses preuves. À l’opposé, baisser son tarif sur une telle gamme n’aura qu’un impact mineur sur les clients existants, car l’idée est de toucher un nouveau public. Le sujet pourrait mériter à lui seul un article complet donc nous aurons l’occasion d’y revenir plus tard. Reste que l’idée développée plus haut est que, si vous comptez publier un nouveau projet, quelque soit votre décision sur cet aspect, vous tenez compte des prix moyens pratiqués.

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